« Vive le Québec libre » a déjà été synonyme de souveraineté, un appel à tracer un avenir politique distinct pour la province. Toutefois, la semaine dernière, lorsque le premier ministre François Legault a énoncé une version de la devise devant une Assemblée nationale en ovation, elle signifiait tout autre chose. Devant la menace tarifaire du président américain Donald Trump, Legault a transformé « Vive le Québec » en un cri de ralliement économique. La province, dans ce contexte, n’est pas en train de se séparer du Canada. Elle se prépare à riposter aux États-Unis.
À l’annonce des tarifs de Trump sur l’acier et l’aluminium qui devraient entrer en vigueur le 12 mars, s’ajoutant aux précédentes menaces mises temporairement sur pause—le gouvernement de la Coalition Avenir Québec et les leaders de l’industrie de la province se préparent aux répercussions économiques. Legault implore les Québécois et Québécoises à « se relever les manches » et à riposter : « On doit se tenir debout. On doit se battre pour protéger notre économie, pour protéger nos emplois ».
Tout droit de douane représente une menace directe à l’économie québécoise, particulièrement dans des secteurs d’envergure comme l’aérospatiale, l’extraction minière et la manufacture. Les États-Unis ne sont pas seulement un partenaire commercial important—c’est le partenaire commercial, qui représente plus de 70 % des exportations du Québec. En 2023 seulement, la valeur de ses exportations vers les États-Unis s’élevait à 87,3 G$; la province se classe ainsi troisième derrière l’Ontario et l’Alberta.
Les discussions sur la diversification des marchés d’exportations sont désormais à l’avant-plan. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a longtemps demandé la suppression des restrictions sur le commerce entre les provinces, y compris au Québec. Ces barrières (restrictions différentes en matière de règlement, de transport, de normes et de permis) agissent comme une taxe cachée sur les biens et les services. Selon les estimations de la FCEI, leur retrait pourrait ajouter 200 G$ au PIB canadien annuellement.
Le Québec n’est pas impuissant dans cette guerre commerciale. La province produit environ 90 % de l’aluminium canadien, et 60 % des importations américaines en aluminium proviennent du Québec. Trouver un autre approvisionnement de cette ampleur ne sera pas facile pour Washington.
Le président d’Hydro-Québec Michael Sabia a aussi parlé du réservoir d’énergie propre et bon marché du Québec comme d’un avantage, et les politiciens et politiciennes de la province ont soulevé la possibilité que l’un des plus grands producteurs d’hydroélectricité dans le monde augmente le prix de ses exportations aux États-Unis en réponse aux menaces tarifaires du président. La ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Christine Fréchette n’a pas encore confirmé un mouvement dans cette direction.
Même si la ministre Fréchette a reconnu la gravité de la menace—estimant que les exportations vers les États-Unis sont liées à 400 000 emplois au Québec—elle a établi clairement qu’une taxe sur les produits québécois comme l’aluminium pénaliserait les consommateurs et les entreprises américaines. « Ce sera très difficile pour les États-Unis de travailler sans nous » a-t-elle déclaré selon CityNews, « surtout s’ils ne veulent plus importer d’aluminium de Chine ».
Legault a promis de collaborer étroitement avec ses homologues provinciaux et fédéraux, évaluant le pour et le contre d’une riposte tarifaire et de l’utilisation de programmes pour pallier les pertes d’emplois et amoindrir la hausse du coût de la vie. Parmi les options possibles, il y a la création d’un maximum d’emplois chez Hydro-Québec et l’accélération des mises en chantier. « Peu importe ce que Trump va faire, on va vous protéger coûte que coûte », a déclaré Legault pour rassurer la population.
Pendant ce temps, l’ancien ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a suggéré à The Logic que Legault pourrait se rapprocher du pétrole et du gaz, ce qui ouvrirait une porte aux projets d’infrastructure qui redessineraient le secteur du gaz naturel albertain. Ce serait toute une volte-face, puisque la CAQ avait rejeté un projet de ce type en 2021 arguant que le projet était économiquement risqué et comportait plus de désavantages que d’avantages. Si la pression économique monte, Legault pourrait être obligé de revenir sur ses décisions en faveur du pragmatisme.
Alors que les partis d’opposition étaient tous d’accord pour dire que le Québec devait se diversifier, soutenir les entreprises locales et moins dépendre des exportations vers les États-Unis, ils ont été rapides à souligner le déficit de 11 G$ du gouvernement caquiste—le pire de l’histoire du Québec —qui a rendu la province particulièrement vulnérable face aux menaces de Trump.
Le Parti québécois, un parti souverainiste actuellement en tête des sondages, a avancé l’idée d’une approche « Équipe Québec », et son chef Paul St-Pierre Plamondon a demandé à Legault de créer un groupe de travail formé de politiciens et politiciennes de l’opposition, d’experts et d’expertes, et de groupes d’intérêts pour collaborer avec le gouvernement. Surtout, Plamondon a fait écho aux critiques de Trump concernant la politique frontalière canadienne, affirmant que le Québec et le Canada ont été de « mauvais voisins » pour les États-Unis en raison de lacunes dans le maintien de la frontière.
Les Québécois et Québécoises, entre-temps, ont répondu à l’appel du nationalisme économique populaire. Plusieurs boycottent les produits américains, demandant aux épiceries d’identifier clairement les produits faits au Québec et au Canada, et annulent même leurs vacances de l’autre côté de la frontière. Le gouvernement provincial a ordonné à la Société des alcools du Québec de retirer des tablettes toutes les bouteilles américaines, et la Ville de Montréal a récemment fait les manchettes en retirant Amazon de la liste de ses fournisseurs. « Malgré le sursis au niveau des tarifs douaniers, Montréal ne baisse pas la garde, a écrit la mairesse sur les réseaux sociaux. On demeure solidaire et on achète local lorsque c’est possible. »
L’aspect le plus inattendu des menaces de Trump est peut-être le repositionnement des Québécois et Québécoises ç l’intérieur du pays. Bien qu’on s’attende à ce que des tensions commerciales provoquent un sursaut de chauvinisme au Canada, un récent sondage du Angus Reid Institute montre que les plus grands gains patriotiques ont été vus au Québec. Entre décembre et février, la proportion de Québécois qui se sont dits « très fiers » ou « fiers » d’être Canadiens a augmenté de treize points de pourcentage, de 45% à 58%. Par rapport à « l’attachement profond et émotionnel » au Canada, le Québec, à 45%, mène encore en termes de gains, dépassant le 37 % mesuré en 2016.
Au même moment, le soutien pour la souveraineté québécoise a pris un coup. Un récent sondage de Léger a montré que si le Parti Québécois est encore en tête des intentions de vote avec 30 % de soutien, le soutien à l’indépendance a chuté à 29 %—le niveau le plus bas en quatre ans. Le Parti libéral du Québec, longtemps en déclin, a rebondi, et se dispute la deuxième place avec la CAQ, les deux formations étant à 21 %. Au niveau fédéral, le Bloc Québécois a aussi vu son soutien chuter de 6 points, tandis que les libéraux en ont gagné 7, ce qui les place à égalité pour la première place à 29 %. Si Mark Carney devient chef du PLC, le soutien québécois pour les libéraux grimpe à 38 %.
Bien entendu, une semaine équivaut à une éternité en politique, et le bilan du règne chaotique de Trump reste encore à faire, mais il serait ironique que ses menaces tarifaires n’aient pour résultat qu’un effritement de la relation canado-américaine et un renforcement de l’unité canadienne.