Plus de 125 ans après la signature du traité numéro 8, de nombreuses promesses faites aux Premières Nations du Nord demeurent toujours non tenues. Dans cet épisode, nous plongeons dans l’histoire, l’impact et les défis persistants liés à l’un des traités les plus significatifs du Canada. Charmaine Willier-Larsen, descendante d’un des signataires du traité numéro 8, nous raconte comment cet héritage l’a inspirée à fonder The Bannock n Bed, une auberge culturelle située à seulement deux kilomètres du site où le traité a été signé, près du Petit lac des Esclaves en 1899. Nous accueillons également le grand chef Trevor Mercredi, des Premières Nations du traité numéro 8 de l’Alberta, qui revient sur les promesses faites dans le traité, les obstacles systémiques toujours présents et la lutte pour faire respecter les droits des peuples autochtones.

Listen to the episode:


Angela Misri – Revenons à l’été 1899. Les frontières du Canada s’élargissent, la population croît rapidement. C’est une époque de changements, d’opportunités et d’incertitudes.

Et à la fin juin, au milieu de ces bouleversements, un groupe de représentants du gouvernement, de missionnaires et de leaders autochtones se réunit près du lac Lesser Slave. Autour d’eux, la terre est silencieuse, mais le poids de ce qui s’apprête à se passer est immense. Ils s’apprêtent à signer un document qui changera le cours de l’histoire des Premières Nations du Nord : le Traité no 8.

Bienvenue à la troisième saison de Canadian Time Machine, le balado qui explore les moments clés qui ont façonné notre pays. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et produit par The Walrus Lab. Je suis Angela Misri.

Cet épisode marque le 125ᵉ anniversaire de la signature du Traité no 8, que nous avons commémoré en 2024. Depuis, les Premières Nations signataires du traité se battent pour faire respecter leurs droits, revitaliser leurs langues et protéger leurs terres, malgré les défis qui ont suivi la signature du traité.

Aujourd’hui, nous explorerons l’histoire complexe de ce traité. Pourquoi a-t-il été signé? Quelles promesses contenait-il? Et comment a-t-il façonné la vie des peuples autochtones du Nord, hier comme aujourd’hui?

À la fin du 19ᵉ siècle, la ruée vers l’or du Klondike battait son plein, attirant des milliers de prospecteurs vers le Nord canadien, dans l’espoir d’y faire fortune.
Mais l’afflux soudain de colons et l’exploitation des ressources ont créé des tensions. Alors que les rapports de mauvais traitements et de violence envers les peuples autochtones se multipliaient, la pression sur le gouvernement pour agir augmentait.

La réponse est venue sous la forme du Traité no 8, un accord historique signé le 21 juin 1899. Contrairement aux traités numérotés précédents, le Traité no 8 couvrait un territoire immense—plus de 841 000 kilomètres carrés—s’étendant sur ce qui est aujourd’hui l’Alberta, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest.

Les nations autochtones qui habitaient ces terres ne vivaient pas dans de grands établissements communaux, mais en petits groupes, chacun avec ses propres structures de gouvernance, ses cultures et ses modes de vie. Ainsi, lorsque le gouvernement fédéral a entrepris de négocier les termes du traité, il ne négociait pas seulement des droits fonciers, mais aussi la manière dont ces territoires allaient être administrés.

Finalement, les signataires ont accepté le traité sur la base de nombreuses promesses orales faites par le gouvernement fédéral. Des promesses selon lesquelles les personnes âgées et les plus démunies seraient prises en charge, que des soins médicaux seraient fournis en cas de besoin et, surtout, que rien n’entraverait le mode de vie de chaque communauté.

Depuis des générations, les peuples touchés par le Traité no 8 luttent pour que le gouvernement respecte ces engagements, dont plusieurs ont été brisés depuis bien longtemps.

Mais l’histoire ne concerne pas seulement le passé—elle appartient aussi à ceux qui la portent vers l’avenir. L’héritage du Traité no 8 se fait encore sentir aujourd’hui, non seulement à travers les défis qu’il a engendrés, mais aussi dans la force, la détermination et la revitalisation culturelle de ses descendants.

Charmaine Willier-Larsen – En écoutant les récits de nos aînés et de nos gardiens du savoir, on comprend qu’ils savaient qu’ils allaient partager la terre avec les colons qui arrivaient. Les traités ont été signés avec l’idée qu’il y aurait un accord pour ne pas leur faire de mal et qu’ils partageraient le territoire.

Angela Misri – Voici Charmaine Willier-Larsen. Elle est descendante de Louison Willier, aussi connu sous le nom de Moostoos, qui signifie « Bison » en cri. Moostoos était chasseur, trappeur et guérisseur, et il a été le porte-parole principal des Cris lors des négociations du Traité no 8. Lui et son jeune frère, Kinosew, faisaient partie des premiers leaders autochtones à signer le traité.

Charmaine Willier-Larsen – Il y a beaucoup de Willier dans notre Première Nation et aux alentours, et je suis l’une des descendantes des signataires. Mon grand-oncle—le père de mon grand-père—avait des frères aînés qui étaient les politiciens de la famille. Mon arrière-grand-père, Michel, était le plus jeune des sept frères, et ses frères aînés étaient Moostoos et Kinosew. Ils ont signé le traité—je dis toujours « à un jet de pierre », à quelques kilomètres au nord de mon gîte touristique, sur le territoire de la Première Nation de Sucker Creek. Nous sommes tous issus de ces sept frères. Donc oui, nous sommes probablement environ 4 000 aujourd’hui.

Angela Misri – Charmaine a grandi dans la Première Nation de Sucker Creek, sur les rives du lac Lesser Slave, où ses ancêtres ont dirigé la communauté en tant que chefs et membres du conseil pendant des centaines d’années. Mais en tant qu’enfant ayant fréquenté un pensionnat autochtone, elle ne connaissait pas autant l’histoire de sa famille et du Traité no 8 qu’elle ne la connaît aujourd’hui.

Charmaine Willier-Larsen – Ma génération, celle de ma mère et celle de mes grands-parents ont tous dû aller dans un pensionnat autochtone. Alors, l’histoire n’était pas vraiment discutée, ce n’était pas quelque chose de pertinent. Aujourd’hui, comme nous retrouvons notre culture, notre histoire, et que nous sommes fiers d’être Autochtones à nouveau, ça change. Même dans la génération de ma mère, on connaissait nos ancêtres, on avait entendu les histoires, mais ce n’était pas une priorité de dire : « D’accord, écrivons tout cela, faisons un arbre généalogique, assurons-nous que nos enfants et les gens autour de nous savent qui nous sommes. » Maintenant, je pense que ça devient plus fort, et nous sommes fiers de cela. Au cours des 10 ou 20 dernières années, c’est devenu plus excitant de savoir d’où l’on vient et de partager cet héritage.

Angela Misri – Pour aider à transmettre les récits et la culture de ses ancêtres—et pour créer des emplois et des revenus pour sa communauté—Charmaine gère seule Bannock n Bed Inn, une auberge située à seulement deux kilomètres de l’endroit où ses ancêtres ont signé le Traité no 8.

Charmaine Willier-Larsen – Mon ex-mari et moi avons construit cette belle maison sur la réserve dont je suis originaire, à Sucker Creek. C’est une grande maison de 2 200 pieds carrés. Et puis, il y a 10 ans, je me suis dit : « Wow, j’ai cette grande maison et les enfants ont grandi. Mes deux garçons ont grandi, ils sont partis. J’ai divorcé et je me suis demandé : qu’est-ce que je vais faire de cette grande maison de 2 200 pieds carrés? » Et tout le monde, je veux dire, mes amis passaient toujours me rendre visite et il a passé de superbes nuits. Et je me suis dit : « Bon sang, je me demande si je pourrais vendre cette idée. C’est tellement apaisant et réconfortant. Tout le monde dit que c’est un endroit merveilleux pour se détendre et se recentrer. » Et là, je me suis dit : « Wow, ce serait une excellente idée—peut-être qu’on devrait ouvrir un gîte. »

Angela Misri – Mais ouvrir un gîte sur une réserve n’était pas une idée particulièrement populaire.

Charmaine Willier-Larsen – Je pense être l’une des premières à avoir ouvert un gîte touristique dans une Première Nation, du moins à ma connaissance. Et quand j’ai eu cette idée, j’en ai ri. Je me suis dit : « Qui va venir payer pour dormir sur une réserve? » Mais j’ai toujours eu de l’audace, alors je me suis dit : « Eh bien, je vais être la première. Il faut bien que quelqu’un soit la première. »

Angela Misri – Bannock n Bed n’est pas seulement une auberge où passer une bonne nuit de sommeil—c’est une expérience culturelle qui permet d’en apprendre davantage sur les traditions cries et de se connecter à l’histoire autochtone. On peut se promener le long du sentier historique pour lire les panneaux racontant la signature du Traité no 8, découvrir l’arbre généalogique de la famille Willier, déguster un déjeuner maison avec du bannock, ou encore passer la nuit dans un tipi traditionnel.

Et si l’on en croit les avis sur Google, l’expérience laisse une impression durable à tous ceux qui y séjournent.

Voici un commentaire : « Cet endroit est un petit coin de paradis. Charmaine est une hôte exceptionnelle! Les chambres, les cabanes et les tipis sont magnifiques. »

Un autre écrit : « Le moment fort de notre séjour a été notre souper de doré, pêché dans la journée lors d’une sortie de pêche sur glace, et cuisiné à la perfection. Une hospitalité remarquable. »

Charmaine Willier-Larsen – Au départ, je trouvais l’idée un peu folle, mais en réalité, les gens me disent : « Wow, on veut venir! On veut dormir dans un tipi. On veut en apprendre plus sur votre culture. » Les gens sont tellement curieux d’en savoir plus sur nous, et cela me donne l’occasion de partager notre culture et d’éduquer sur nos origines et nos ancêtres.

Angela Misri – Depuis qu’elle a ouvert ses portes à des visiteurs du monde entier, Charmaine a été témoin de moments uniques avec ses invités.

Charmaine Willier-Larsen – Un jour, un cowboy de Drayton Valley est venu. Un vrai cowboy caucasien. Il était dans la région pour le travail, et sa fille lui avait réservé une chambre. Il arrive, je lui montre sa chambre, je lui explique qui nous sommes. Il reste quelques jours, puis le troisième jour, il sort et me dit : « J’ai appelé ma fille et je lui ai dit : “Hé, qu’est-ce que t’as fait? Tu m’as réservé une chambre sur une réserve!” » Et elle s’est affolée : « Oh mon Dieu, papa! Ça va? Tu veux partir? Je vais changer ta réservation, je vais te faire sortir de là, ça va? » Et lui de répondre : « Non, en fait, j’aime bien ici. C’est comme chez moi, sur mon ranch. Ces gens sont formidables, c’est confortable, et je me sens vraiment bien ici. »

C’était drôle, parce qu’ils avaient peur pour sa sécurité sur une réserve. Mais la semaine suivante, il est revenu et m’a apporté un magnifique cadeau—une tête de taureau avec des cornes—parce qu’il avait adoré son séjour ici. Il avait passé un moment extraordinaire et la meilleure expérience, et maintenant il en parle à tous ses amis. Pour moi, c’était un moment fort. La réconciliation, un cowboy à la fois.

Angela Misri – Un jour, un autre invité est venu à Sucker Creek pour en apprendre davantage sur ses propres origines, et Charmaine l’a aidé à renouer avec une famille qu’il n’avait jamais eu la chance de rencontrer.

Charmaine Willier-Larsen – Il a commencé à parler et il m’a dit : « Oui, je fais partie des enfants de la rafle des années 1960. J’ai 64 ans et je ne sais pas qui est ma famille. J’ai enfin obtenu un nom de famille le mois dernier. » Alors je lui ai demandé : « C’est quoi le nom? » Il me l’a dit, et j’ai tout de suite réalisé que je connaissais quelqu’un avec ce nom-là. Je l’ai contacté. Cet homme cherchait sa famille depuis 20 ans, et tout ce qu’il avait à faire, c’était venir au gîte. Je les ai mis en contact. On a tous pleuré, parce qu’il a retrouvé sa famille perdue depuis si longtemps. Parfois, j’ai l’impression que cet endroit a quelque chose de spirituel, de spécial.

Angela Misri – Bannock n Bed et ses invités ont aussi aidé Charmaine à renouer avec son identité autochtone.

Charmaine Willier-Larsen – Ça a complètement changé ma vie, ma façon de penser, ma spiritualité, et le fait de simplement laisser les choses arriver. C’est un peu comme Si tu le construis, ils viendront. Au début, je ne savais pas trop ce que je faisais ni pourquoi je le faisais, mais je recevais ces messages : « Oui! Construis-le! Oui, continue! » Alors ça a transformé ma manière de voir les choses, pour être plus spirituelle et laisser le Créateur me guider.

Angela Misri – Et elle sent que ses ancêtres sont fiers d’elle.

Charmaine Willier-Larsen – Je dis juste : « Bon, s’il y a des esprits qui traînent dans le coin, ne faites pas peur aux invités. » Je dois le dire de temps en temps. Vous pouvez rester, parce que dans notre culture, nous sommes très connectés à nos ancêtres et au monde spirituel. Je veux juste éviter de faire peur aux visiteurs! Et je crois que chaque personne qui vient au gîte y est amenée pour une raison. On ne débarque pas ici par hasard. On vient, on apprend, on vit quelque chose. Chacun est ici pour une raison.

Angela Misri – Charmaine ne peut pas accueillir tout le monde, mais elle aimerait que chaque personne puisse vivre une expérience comme celle du Bannock n Bed. Selon elle, cela aiderait à briser les préjugés et à combattre l’ignorance auxquels les peuples autochtones font encore face aujourd’hui.

Charmaine Willier-Larsen – Toute ma vie, j’ai entendu : « Oh, vous vivez avec notre argent de taxes. Vous êtes un fardeau. Je dois payer des impôts pour vous. » Mais non! Certaines choses que les gens pensent que nous exigeons, que nous réclamons juste pour réclamer, ils doivent comprendre que ce sont des promesses qui nous ont été faites. Ce sont les colons qui ont voulu prendre nos terres et qui nous ont fait ces promesses en échange—qu’ils nous donneraient ceci, qu’ils nous donneraient cela. Avant d’être en colère contre nous parce qu’on demande quelque chose, il faut comprendre qu’on ne demande pas d’avoir plus que les autres. On demande simplement ce qui nous a été promis.

Angela Misri – Alors, qu’est-ce qui a été promis exactement? Et pourquoi, plus d’un siècle plus tard, certaines de ces promesses restent-elles non tenues? Le Traité 8 dessinait une vision d’un avenir meilleur pour tous, mais la réalité d’aujourd’hui ne reflète pas vraiment cette vision.

Pour nous aider à comprendre les détails complexes du traité et ses répercussions continues, je suis accompagnée du Grand Chef Trevor Mercredi des Premières Nations du Traité 8 en Alberta.

Bonjour, Grand Chef.

Grand Chef Trevor Mercredi – Bonjour.

Angela Misri – Vous êtes en Alberta en ce moment?

Grand Chef Trevor Mercredi – Oui.

Angela Misri – Ah, je viens de Calgary. J’ai étudié à l’Université de Calgary, donc je connais bien la région.

Grand Chef Trevor Mercredi – Super. Oui, c’est une belle province.

Angela Misri – C’est vrai. Le Traité 8 a été signé avec un certain nombre de promesses, notamment le droit de poursuivre les pratiques traditionnelles comme la chasse, la pêche et le piégeage. Pourtant, certaines de ces promesses restent non tenues. Pouvez-vous nous donner un aperçu de ces engagements clés et de la façon dont ils étaient censés bénéficier aux nations autochtones de la région?

Grand Chef Trevor Mercredi – Eh bien, le Traité 8, c’est le plus grand traité au Canada. Il couvre un immense territoire, avec d’abondantes ressources et de vastes terres. Il comprend le nord de l’Alberta, une partie de la Colombie-Britannique, une partie de la Saskatchewan et une partie des Territoires du Nord-Ouest.

Lorsque le traité a été conclu, de nombreuses promesses ont été faites, nous assurant que nous pourrions continuer à vivre comme nous le faisions avant l’arrivée des colons. À l’époque, nos chefs étaient très clairs : notre peuple voulait continuer à vivre selon ses propres traditions et son mode de vie normal. Mais avec le temps, ces promesses n’ont jamais été respectées. Aujourd’hui encore, nous subissons les décisions législatives prises au niveau fédéral et provincial.

Les provinces ne sont pas censées avoir juridiction sur les Premières Nations, pas plus que le gouvernement fédéral. Pourtant, aujourd’hui, ils revendiquent cette juridiction et se la renvoient mutuellement, tandis que nos nations continuent de souffrir.

En ce qui concerne la chasse, la pêche et le piégeage, des lois ont été adoptées pour limiter notre accès à ces activités traditionnelles. Nous ne pouvons plus circuler librement et exercer nos droits. On nous confine dans de petites nations et on nous attribue des « territoires traditionnels ». Mais si on regarde le traité, tout ce territoire nous appartient. Il nous était destiné. Nous ne l’avons jamais cédé. Nos ancêtres n’auraient jamais vendu leur mère.

Quand nous parlons de la terre, nous parlons de la Terre-Mère. Nous ne vendrions jamais notre mère. Nous appartenons à la Terre-Mère. Et quand les traités sont revenus d’Angleterre, ils n’étaient plus ceux que nos chefs avaient négociés. Des éléments avaient été omis ou modifiés au fil des jours. C’est pourquoi nous refusons de dire que le traité a été « signé ».

Angela Misri – Il n’a pas été signé?

Grand Chef Trevor Mercredi – Le traité a été conclu. Nous avons des preuves qui corroborent nos récits sur la façon dont le traité a été établi et sur la manière dont nos ancêtres ont été mal informés. Ils ont été amenés à croire certaines choses, et quand le traité est revenu d’Angleterre, il était totalement différent de ce qui avait été convenu.

En attendant, des lois comme le Natural Resources Transfer Act (NRTA) ont été adoptées. Cette loi ne concerne que les provinces des Prairies—l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba. Elle a donné aux provinces le contrôle sur les ressources naturelles, y compris l’eau, ce qui est totalement inacceptable pour nous.

L’Alberta est devenue une province en 1905, bien après la signature du traité. Et à l’époque où ces lois ont été mises en place, il nous était illégal d’avoir une représentation juridique. Aujourd’hui, en tant que chefs, nous essayons de regagner cette autorité qui nous a été enlevée. Cette autorité vient de nos membres, de nos communautés. Tant que nous sommes là, tant que nous vivons, nous serons toujours un peuple issu des traités. Aucun gouvernement ni organisation ne peut nous enlever cela.

Le gouvernement fédéral essaie constamment de nous assimiler, de nous éloigner de nos terres, de nous forcer à aller chercher ailleurs des services qui devraient être disponibles dans nos propres communautés. Malgré cela, nous sommes encore là, nous sommes forts. Notre langue est encore vivante dans plusieurs communautés.

Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de difficultés, notamment en matière de santé. Le droit à la santé garanti par le traité n’est absolument pas respecté. En Alberta, nous avons un problème majeur : l’espérance de vie des Autochtones est inférieure de 18,5 ans à celle des non-Autochtones. Juste en Alberta. Et ce sont des statistiques de 2024.

Angela Misri – Quand vous parlez des soins de santé, quelle est votre expérience? Le gouvernement du Canada a-t-il fait des efforts significatifs pour respecter ces engagements, ou les communautés attendent-elles toujours ce soutien? D’après ce que vous dites, il semble qu’elles attendent toujours.

Grand Chef Trevor Mercredi – Eh bien, le gouvernement fédéral nous dit toujours qu’il fait de son mieux. Mais en réalité, il finance la province avec une grande partie de nos fonds, et l’argent destiné à nos programmes est directement versé à la province. En Alberta, le système de santé actuel est en train de s’effondrer. Et pourtant, le gouvernement fédéral conclut des ententes avec la province concernant notre santé. C’est un vrai problème pour nous. Nous sommes laissés de côté, et nous n’aimons pas être laissés de côté, car notre peuple souffre.

On nous dit toujours qu’il y a des facteurs spécifiques expliquant l’écart d’espérance de vie que nous constatons. La première chose qu’ils nous disent, c’est qu’il y a un taux élevé de surdoses. D’accord, peut-être, mais pourquoi? Pourquoi y a-t-il tant de consommation de drogues? D’où cela vient-il? Quand on commence à analyser les causes profondes de la souffrance de nos nations et de notre peuple, tout remonte aux traumatismes que nous avons subis dans le passé, génération après génération : le système des pensionnats et le racisme quotidien. Il est difficile de se détacher de ces réalités.

Nous faisons de notre mieux pour combler ces écarts et pour que notre peuple – pas seulement le grand public, mais bien notre peuple – comprenne la gravité de ces enjeux et voie que nous travaillons là-dessus. Mais le gouvernement fédéral sait que si nous commençons à démêler ces problèmes pour les résoudre, cela prendra 20, 30, 40 ans de travail acharné. Et cela implique un financement considérable. Alors, est-ce que le gouvernement fédéral va ouvrir son chéquier et nous permettre de guérir?

Beaucoup de choses que nous voyons aujourd’hui ne sont, à mon avis, que symboliques. Aucun vrai changement pour notre peuple. On peut instaurer un jour férié ici, faire une reconnaissance territoriale là, lever un drapeau, mais dans les sections de commentaires en ligne, on voit bien que le racisme est toujours omniprésent. À chaque fois qu’il y a un article sur les peuples autochtones, le racisme est bien visible. Pourtant, sans les peuples autochtones, de nombreux colons qui sont arrivés sur ces terres n’auraient jamais survécu. Nos ancêtres leur ont montré comment vivre ici, comment s’adapter.

Quand on parle de générations, deux ou trois, ce n’est pas si lointain. Il y a à peine deux ou trois générations, nos aînés se rappellent encore l’arrivée des colons dans notre région. Et avec eux, ils ont apporté l’alcool. Avant leur arrivée, il n’y avait pas d’alcool ici. Alors, d’une certaine manière, bon nombre des problèmes que nous vivons aujourd’hui sont le résultat direct de la colonisation et du fait qu’on ne nous ait jamais permis d’être pleinement qui nous sommes.

Angela Misri – En tant que leader des Premières Nations signataires du Traité no 8, vous défendez depuis longtemps la reconnaissance de ces promesses. Quelle a été la réponse du gouvernement à ces revendications? Et comment leur inaction a-t-elle affecté la relation entre les communautés autochtones et l’État?

Grand Chef Trevor Mercredi – Nous reculons, c’est certain. Que ce soit sur le plan des relations, de l’environnement ou de la politique, je pense que nos enfants vont vivre des moments encore plus difficiles que nous. Et je me pose souvent la question : est-ce qu’on va enfin faire quelque chose? Et je ne parle pas seulement des peuples autochtones, mais aussi des non-Autochtones.

Angela Misri – Bien sûr, c’est la responsabilité de tout le monde.

Grand Chef Trevor Mercredi – Exactement, et c’est une de mes grandes préoccupations. En discutant avec des ministres et des représentants à un haut niveau, je leur demande souvent : « Pensez-vous à vos petits-enfants? » Et ils me répondent, enthousiastes : « Oh, tout ira bien! Tout va bien! » C’est cette mentalité qui domine dans notre société en ce moment, surtout au sein du gouvernement.

Quand le gouvernement planifie, il pense à 50 ou 100 ans à l’avance. Mais nous, les peuples autochtones, nous sommes toujours les derniers à être informés de ces plans, parce que nous représentons un frein dans la mécanique, nous ralentissons les choses. Et c’est normal, parce que nous avons des préoccupations légitimes.

Angela Misri – J’imagine à quel point la responsabilité que vous portez est immense. Avez-vous l’impression de parler au nom de la terre, de l’histoire entière…? Cela doit être un poids énorme.

Grand Chef Trevor Mercredi – Quand je parle, c’est toujours en pensant à tout le monde. Mais en tant que Grand Chef, cela m’a donné une perspective différente. Cela m’a appris à être plus ouvert d’esprit et plus respectueux des décisions des nations et de leurs dirigeants.

Je dis souvent que j’aimerais que les gens puissent assister aux réunions des chefs et entendre comment ils se battent pour leur peuple. Les chefs ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent. Beaucoup développent une carapace solide, mais cela reste difficile. Ce sont des êtres humains. J’aimerais que les gens puissent voir ces chefs défendre leurs communautés avec passion, s’assurer qu’elles ne sont pas oubliées, et montrer qu’ils ont toujours l’intérêt de leur peuple à cœur.

Angela Misri – Oui. Quand vous pensez à la réconciliation, ou à une véritable réconciliation en lien avec le Traité no 8, comment pensez-vous que ces torts peuvent être réparés? Voyez-vous des solutions ou des moyens de surmonter ces promesses brisées? Voyez-vous un chemin vers la réconciliation?

Grand Chef Trevor Mercredi – Eh bien, voilà le problème. Le mot « réconciliation ».

Angela Misri – D’accord.

Grand Chef Trevor Mercredi – Comment peut-on réconcilier quelque chose qui n’a jamais existé?

Angela Misri – Je sais. C’est…

Grand Chef Trevor Mercredi – Donc, le mot réconciliation n’a pas sa place ici, et j’en ai déjà parlé. À mon avis, la seule façon d’avancer, c’est de rendre aux nations l’autorité qui leur revient. Une part des revenus tirés des ressources. Leur permettre d’être souveraines. Pourquoi signons-nous des accords de financement qui maintiennent notre peuple dans la pauvreté? Pourquoi empruntons-nous ces chemins imposés par le gouvernement alors que nous connaissons nos droits, nous connaissons notre autorité, et ils connaissent aussi nos droits et notre autorité? C’est pour ça qu’ils ont peur. Chaque fois que nous avançons, ils préfèrent nous voir devant les tribunaux, car ils savent que cela nous ralentira pendant des années. C’est la réalité.

Mais les nations deviennent plus intelligentes et elles commencent à intenter des poursuites immédiatement. Elles se tournent vers la justice sans attendre. Elles consultent des avocats tout de suite. Ce que nous devons faire en tant que peuples autochtones, c’est retrouver notre force et ne pas avoir peur de parler de tous les enjeux. Nous devons sensibiliser les non-Autochtones à l’importance d’être reconnaissants d’être ici, reconnaissants que nous ayons partagé ces terres avec eux. Parce que ce sont les colons qui avaient besoin du traité, en particulier du Traité no 8.

Le Traité no 8 est le plus vaste et le plus riche du Canada, et chaque année, les ressources extraites de nos territoires rapportent des milliards de dollars. Nous ne recevons pas un seul centime de ces revenus. Toutes les collectivités autour de nos nations ont des hôpitaux, des centres communautaires, des arénas, et tous ces services pour leur population et leurs enfants. Puis, on regarde la population autochtone et on nous pointe du doigt, on parle de pauvreté et de traumatismes. Mais n’importe quel peuple vivrait des traumatismes s’il subissait un génocide comme le nôtre.

Le mot génocide n’est pas assez utilisé quand on parle de notre histoire. On a arraché nos enfants, on a effacé notre identité, on a tué notre peuple par la maladie, par des politiques de santé. L’histoire du Canada n’est pas aussi belle qu’on le raconte.

Angela Misri – Bien sûr. La stérilisation forcée, la rafle des années 1960… Il y a tant d’exemples.

Grand Chef Trevor Mercredi – Et nous continuons d’en découvrir davantage. Quand j’étais jeune, je ne savais pas tout ce qui s’était passé dans les pensionnats. Ma mère ne nous l’a jamais raconté. Pourtant, elle a été dans un pensionnat, mais ils appelaient ça « la mission ». Beaucoup des nôtres ont été battus, enlevés, et tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’était encore inconnu avant 2010.

Donc, d’une certaine façon, nous avançons, mais sous d’autres aspects, non. Il nous reste un long chemin à parcourir. Et nous ne pourrons y arriver sans les ressources adéquates. On ne peut pas guérir de nos traumatismes sans ressources. Aujourd’hui, il y avait une conférence sur l’éducation, où nous avons parlé de nos enfants, parce que nous savons que nos enfants sont notre avenir. C’est notre responsabilité de leur offrir une meilleure vie que celle que nous avons eue. C’est notre responsabilité de leur transmettre ce que nous n’avons pas appris. Et même si nos enfants ne seront pas parfaits, ils seront peut-être meilleurs que nous.

Angela Misri – Espérons-le, oui. Ce sujet est immense… Il est impossible de tout couvrir en un seul balado. C’est un enjeu si vaste, comme vous l’avez dit, qui s’ancre dans l’histoire. Ce n’est pas récent, mais les gens ont encore une mémoire du Traité no 8. Notre autre invitée, Charmaine, disait qu’elle en avait très peu entendu parler et qu’elle a dû s’éduquer elle-même sur son histoire à l’âge adulte. Quelle a été votre expérience quant à la compréhension et à la connaissance du Traité no 8 dans votre communauté?

Grand Chef Trevor Mercredi – Quand j’étais jeune, on n’entendait pas beaucoup parler du Traité no 8. Je crois que c’est parce que les organisations liées au traité étaient surtout régionales. Et quand on parlait du Traité no 8 comme d’une entité, c’était une idée très générale. Je dirais qu’à la fin des années 1980, au début des années 1990, ils ont commencé à s’organiser en tant qu’organisation liée au Traité no 8. Et les choses ont commencé à se structurer. Je crois que c’est au début des années 2000 que l’organisation du Traité no 8 en Alberta est réellement devenue une entité, et c’est là qu’on a commencé à en entendre davantage parler.

Quand nous étions jeunes, nos grands-parents ne disaient pas : « Je suis un signataire du traité, je peux faire ceci ou cela. » Ils le savaient simplement. Ils le faisaient sans poser de questions.

Nous avons perdu ça au fil du temps, avec les changements dans nos modes de vie. Aujourd’hui, on parle du droit de chasser, de piéger et de pêcher inscrit dans le traité. Mais à l’époque, nous chassions et piégions uniquement pour nous nourrir et pour la fourrure.

Angela Misri – Bien sûr.

Grand Chef Trevor Mercredi – C’est étrange de voir cela inscrit dans un traité, selon moi, car ça a surtout profité aux colons.

Angela Misri – Oui.

Grand Chef Trevor Mercredi – Avant l’arrivée des colons, il n’y avait aucune raison d’entasser des peaux de castor jusqu’au plafond pour obtenir un fusil. Donc, à certains égards, il y a des éléments dans ces traités qui ont été ajoutés pour avantager les Européens de l’époque. Je remets souvent en question l’idée du piégeage, parce que oui, nous piégions, mais nous ne le faisions pas de manière excessive.

Mais c’était ainsi. Nos ancêtres agissaient sans demander de permission.

Angela Misri – Aimeriez-vous un retour à cette mentalité, par curiosité?

Grand Chef Trevor Mercredi – Absolument. J’ai toujours pensé ainsi. Il y a une histoire sur mon grand-père. Il avait un filet dans la rivière. Les agents de la faune sont venus lui dire qu’il allait recevoir une amende s’il ne l’enlevait pas. Il est monté dans son canot, a ramassé son filet et a continué sa route en descendant la rivière.

Nos ancêtres croyaient profondément en leurs droits inhérents, qui sont supérieurs au traité.

Angela Misri – Oui.

Grand Chef Trevor Mercredi – Nous n’avons pas toujours besoin du traité pour prouver que nous avons des droits. Parce que nous avions ces droits bien avant de signer les traités.

Angela Misri – Exactement.

Grand Chef Trevor Mercredi – Mais les traités sont toujours au premier plan pour notre peuple, et c’est normal. Parce qu’un traité, ce n’est pas seulement un document. C’est spirituel, c’est vivant, c’est un fait.

Angela Misri – Oui. Merci beaucoup, Trevor. C’était un plaisir de vous parler. Je vous souhaite le meilleur. Merci.

Grand Chef Trevor Mercredi – Merci.

Angela Misri – Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et créé par The Walrus Lab. Cet épisode a été produit et monté par Jasmine Rach [rime avec MATCH]. Amanda Cupido est la productrice exécutive. Pour plus d’histoires sur les grandes étapes de l’histoire canadienne, ainsi que la transcription en anglais et en français de cet épisode, visitez TheWalrus.ca/CanadianHeritage.

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The Walrus Lab