En 25 ans d’histoire, le Nunavut continue de se développer, mais il a fait des progrès considérables depuis sa création historique le 1er avril 1999. Dans cet épisode, nous explorons le passé, le présent et l’avenir du plus jeune territoire du Canada. L’historien Kenn Harper, également connu des Nunavummiut sous le nom de Ilisaijikutaaq (le grand professeur), partage son expérience de l’époque où il a appris l’inuktitut et documenté la culture inuit, agrémentée d’anecdotes tirées de son dernier livre sur la cinquième expédition de Thulé. Nous accueillons ensuite le premier ministre P.J. Akeeagok, qui nous livre ses réflexions sur le parcours du Nunavut – ses réussites, ses défis et les objectifs à venir. Il revient également sur l’importance d’un récent accord de transfert de terres, qui accorde au Nunavut le contrôle total de son territoire, marquant ainsi une étape décisive vers l’autodétermination.
Listen to the episode:
Préparez vos bonnets et vos bas de laine. Aujourd’hui, nous voyageons vers le Nord dans le plus grand et récent territoire du Canada : le Nunavut. Si vous y êtes allés, vous savez qu’il peut vous en mettre plein la vue. L’air frais qui vous entoure, la lumière des aurores boréales qui dansent dans le ciel, les sons de l’inuktitut qui vous feront peut-être demander «Qanuq?» ou «Désolé, pouvez-vous répéter?»
[Musique d’introduction] Angela Misri: Bienvenue à Voyages dans l’histoire canadienne, un balado qui nous plonge dans les moments clés qui ont façonné notre territoire. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est produit par The Walrus Lab. Je m’appelle Angela Misri.En 2024, nous avons franchi une étape importante dans l’histoire canadienne : le Nunavut a célébré son 25e anniversaire. Le 1er avril 1999, le paysage du territoire du Canada a connu un changement majeur, avec la prise en charge, par les Inuits, de la gestion de près de deux millions de kilomètres carrés de leurs terres traditionnelles. Il ne s’agissait pas simplement de redéfinir des frontières, mais de mettre en place un nouveau processus décisionnel, axé sur la gestion inuit et de garantir que l’avenir du Nunavut puisse appartenir aux habitants qui y vivent depuis plus de 5 000 ans.
Le Nunavut, qui signifie «notre terre» en inuktitut, est énorme! Il représente plus de deux millions de kilomètres carrés, soit plus du cinquième de la masse continentale du Canada. Il pourrait contenir presque l’ensemble de l’Europe de l’Ouest, soit la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne… et il y aurait de la place pour quelques autres pays.
Malgré sa taille, la population du Nunavut est l’une des plus éparpillées au pays, représentant environ 40 000 personnes, dont la plupart sont Inuits. Se rendre d’un endroit à un autre n’est pas aussi simple que d’embarquer dans la voiture, il n’y a aucune route qui lie ses 25 différentes communautés. Mais au-delà du territoire et des ressources, il y a quelque chose d’encore plus fondamental qui se déroule ici : la préservation et la revitalisation de la culture inuite. Alors que l’inuktitut est une langue menacée, plusieurs se sont engagés à sa préservation et à sa diffusion à travers le reste du pays et le reste du monde.
Kenn Harper: [parle l’inuktitut]
Angela Misri: Rencontrez Kenn Harper, un historien canadien et un auteur qui respire et vit pour l’histoire de l’Arctique. Il vient de me dire en inuktitut qu’il était très heureux de me parler aujourd’hui.
Kenn Harper: Mon nom est Kenn Harper et je suis historien. Autoproclamé. J’ai toujours été intéressé par l’histoire de l’Arctique, surtout depuis que j’y ai déménagé lorsque j’étais un très jeune homme. Aujourd’hui, je suis un très vieil homme et je cultive encore cet intérêt.
Angela Misri: Kenn a déménagé en Arctique en 1966, alors qu’il venait tout juste de commencer sa carrière. À l’époque, il était loin de se douter que ce déménagement allait complètement changer sa vie et son plan de carrière.
Kenn Harper – Lorsque j’ai obtenu mon diplôme du Teachers College, j’ai immédiatement postulé à un emploi dans le Nord. J’ai toujours été intéressé par l’aspect indigène de l’histoire du Canada. J’avais l’intention d’y rester deux ans pour ensuite utiliser mon diplôme d’enseignement pour visiter le monde, des endroits éloignés et enseigner à travers le monde. C’était mon plan. Toutefois, j’ai commis une grave erreur qui s’est avérée être une bénédiction : j’ai appris à parler l’inuktitut.
Angela Misri – Kenn s’est installé dans la communauté de Qikiqtarjuaq (ki-kik-TAAK-jo-ahk), autrefois connue sous le nom d’île Broughton, située au large de l’île de Baffin, dans ce qu’on désigne aujourd’hui comme le Nunavut. Cette communauté abrite aujourd’hui un peu plus de 500 habitants, soit près du double de la population qui y vivait à l’arrivée de Kenn.
Kenn Harper – La plupart des adultes de l’époque ne parlaient pas anglais à l’époque. Mon cercle social se limitait à 12 personnes blanches et je n’aimais pas ça.
Angela Misri – Mais apprendre un nouveau langage, en particulier un langage qui est fait de symboles et de sons uniques tels que l’inuktitut, c’est plus facile à dire qu’à faire…
Kenn Harper – Il faut apprendre à accepter que les autres se moquent de nous à cause de nos erreurs. Certaines d’entre elles sont assez drôles. Je me suis dit qu’il fallait s’y habituer. Au bout d’un moment, ils arrêteront et commenceront à m’aider. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Cela m’a ouvert la porte à toutes les communautés que j’ai visitées, que ce soit dans l’est de l’Arctique canadien ou dans une grande partie du Groenland. Je suis profondément reconnaissant envers les anciens, aujourd’hui tous décédés, qui m’ont aidé à apprendre l’inuktitut plus jeune. Vous savez, je leur dois énormément.
Angela Misri – Après avoir appris la langue, Kenn a décidé de comprendre l’histoire de l’Arctique canadien. Depuis, il a publié quelques livres qui reflètent les débuts de la culture inuit, partageant des anecdotes sur des injustices passées. Il espère qu’elles permettent aux Canadiens du Nord d’en apprendre sur leur propre peuple ainsi que sur leurs voisins. Son livre le plus récent s’appelle Give Me Winter, Give Me Dogs: Knud (k-nood) Rasmussen and the Fifth Thule Expedition.
Kenn Harper – La cinquième expédition de Thulé a été le rêve de longue date de l’explorateur, écrivain et penseur danois du Groenland, Knud Rasmussen qui a été fasciné par la vie et la culture inuit. Il est né au Groenland et sa langue natale était l’inuit du Groenland. Il souhaitait rencontrer les gens, leur parler, interagir avec eux et documenter leur mode de vie, leurs légendes, leurs croyances, leur religion traditionnelle, les tabous qui influencent leur comportement envers les animaux de la mer et de la nature. Au cours de cet exercice, il a aussi documenté les histoires d’individus qu’il a rencontrés. Il a effectué le tout au cours de trois années d’expéditions, avec l’aide d’autres scientifiques danois et certains Inuits qui l’ont accompagné en tant que guides et assistants, entre 1921 et 1924.
Angela Misri – Je sais probablement ce que vous vous dites : quoi, 1924? Le Nunavut ne deviendra pas un territoire avant les 75 prochaines années! Qu’est-ce qu’un explorateur danois a à voir avec l’histoire du Nunavut?
Kenn Harper – Cette expédition, soit la cinquième expédition de Thulé, est essentielle pour comprendre l’histoire du Nunavut. Bien que le Nunavut n’ait été créé officiellement que le 1er avril 1999, l’idée de ce territoire est apparue bien avant cette date. Son développement a commencé bien plus tôt, dans les années 1970, à l’époque où les Inuits se sont organisés politiquement dans les emplacements temporaires inuits du Canada, après avoir pris conscience de leur unicité culturelle. Mais je dirais que cette idée remonte même à l’époque où Rasmussen se trouvait sur place avec la cinquième expédition de Thulé. Il commentait déjà le fait que ces peuples avaient un mode de vie unique, une culture distinctive et une identité qui leur était propre.
Angela Misri – Rasmussen et ses hommes ont produit plus de 10 volumes d’écrits à partir de cette expédition, représentant plus de 5 500 pages d’observations détaillées, de notes ethnographiques, de traditions orales et d’études linguistiques sur la culture inuit, ses traditions et sa langue. Et c’était entièrement écrit en anglais. Mais Kenn mentionne que la plupart des gens, même ceux du Nunavut, ne savent rien de l’existence de tels écrits, et encore moins où les trouver.
Kenn Harper – De très belles biographies du peuple inuit sont disponibles grâce au travail de Rasmussen. J’ai écrit un livre que j’ai publié récemment afin de faire connaître cette expédition. Il a sauvé ce qui restait à la 11e heure, car il savait que les choses allaient changer. Et, en effet, les choses ont changé dans les régions traversées par M. Rasmussen. Dans la plupart des régions du nord du Canada, la langue inuktitute a perdu de sa vitalité. Il n’a donc pas prévenu cette perte de vitalité, mais il a tout documenté afin que les générations futures puissent en profiter. Et ces générations l’utilisent, même si ce n’est pas autant qu’elles pourraient et devraient.
Angela Misri – Quelqu’un d’autre fait le même lien que moi ici? Kenn semblait poursuivre le même objectif que Rasmussen, soit de documenter la culture inuite et de la rendre facilement disponible et accessible, afin qu’elle soit mieux préservée pour les générations futures.
Kenn Harper – J’ai écrit très subjectivement ce que je pensais que les habitants du Nord devraient comprendre. Parce qu’en comprenant cette expédition, les Inuits lisent sur leurs propres ancêtres, sur leur propre peuple. D’un autre côté, pour les non-Inuits qui lisent ce livre dans le Nord, c’est une occasion d’en apprendre davantage sur les ancêtres de leurs voisins. J’espère donc que mon livre, constitué de quelques centaines de pages, en incitera certains à chercher les écrits originaux, leur permettant de découvrir l’histoire complète.
Angela Misri – Bien que Kenn ne soit pas né en Arctique et ne soit pas Inuk, le Nunavut le considère comme l’un des siens. En 1999, il était le seul membre non inuit de la Commission d’établissement du Nunavut, un groupe de neuf individus a eu pour mission d’assurer la transition vers l’établissement du Nunavut, le plus récent territoire du Canada, et de façonner son gouvernement pour qu’il reflète les valeurs et les traditions inuites.
Kenn Harper – Dans l’escalade d’évènements qui ont mené à la création du Nunavut, cela a généré beaucoup d’excitation et d’attentes envers les retombées pour les habitants. Les attentes étaient probablement trop élevées. On leur avait promis un gouvernement qui allait se rapprocher du peuple, avec un processus décisionnel plus proche, plutôt qu’il soit en provenance de la très lointaine ville de Yellowknife. Je dirais que beaucoup de gens ont ressenti une certaine déception après la création du Nunavut. Bien sûr, ils étaient habités par une immense fierté d’avoir obtenu leur propre territoire, mais il faut dire que certaines attentes étaient exagérées et irréalistes. Lorsqu’elles se sont révélées impossibles à concrétiser, ce fut une grande déception. Une partie de cette déception persiste encore aujourd’hui.
Angela Misri – De quelle façon a-t-il évolué le Nunavut depuis 1999? Actuellement dans son milieu-vingtaine, est-ce qu’il évolue tel que les gens se l’étaient imaginé au départ? Ou est-ce que les défis ont été plus grands que prévu?
Il n’y a personne de mieux pour répondre à ces questions que le premier ministre actuel du Nunavut, P.J. Akeeagok.
Né et élevé à Grise Fiord, il a consacré sa carrière à défendre les communautés inuites, d’abord comme président de la Qikiqtani Inuit Association, puis en tant que dirigeant du territoire le plus septentrional du Canada. En tant que premier ministre, il constate certains des plus grands défis auxquels l’Arctique est confronté, qu’il s’agisse du logement, des changements climatiques ou du développement économique.
Angela Misri: Bonjour, Monsieur le premier Ministre. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.
Premier ministre P.J. Akeeagok – Oui, bon après-midi. C’est un plaisir de me joindre à vous.
Angela Misri – En réfléchissant à la création du Nunavut il y a plus de 25 ans, quels étaient les plus grands espoirs et attentes envers la création de ce territoire, selon vous?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Nous avons célébré cette étape importante. En y repensant, c’est certainement ce pouvoir de diriger que nous avons été très chanceux de recevoir. Nous avions toujours voulu ce pouvoir afin de nous assurer que les décisions nous concernant ne seraient pas prises sans nous. Cela a toujours été quelque chose d’important et un rêve en quelque sorte pour les Inuits, que de ramener ces décisions ici, chez nous. À l’aide d’un processus démocratique, les communautés élisent un gouvernement public. Oui, des membres qui servent maintenant les intérêts des Nunavummiuts, par les Nunavummiuts. C’était donc un moment très spécial pour nous de repenser à ces 25 dernières années.
Angela Misri – Puis-je vous demander, je sais où j’étais quand on a annoncé que le Nunavut avait son propre territoire. J’étais en train de terminer mes études à l’école de journalisme. Où étiez-vous?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Je suis né et j’ai grandi dans la petite, magnifique et résiliente communauté de Greece Fiord. C’est la communauté la plus septentrionale d’Amérique du Nord. Je me souviens des grandes fêtes de mon enfance, issues de deux événements marquants. En 1993, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut a été signé. Il s’agit d’une étape fondamentale qui a permis de poser les bases d’un gouvernement public, en offrant une vision claire et une feuille de route pour l’avenir. Mais mon souvenir le plus marquant se déroule en 1999, avant même la signature de l’Accord. À cette époque, on percevait l’excitation parmi la communauté, un sentiment de fébrilité, on sentait qu’un événement exceptionnel se préparait. Cette effervescence a éveillé en moi un profond désir d’en apprendre davantage. C’est là que ma curiosité a réellement pris son envol. Après mes études secondaires, j’ai eu la chance de participer à un programme extraordinaire, le Nunavut Sivuniksavut, un programme universitaire d’une durée de huit mois à Ottawa. Ce programme m’a permis de plonger dans les revendications territoriales, l’histoire des Inuits, le mouvement inuit et d’autres questions contemporaines. Cette expérience a été déterminante, approfondissant la compréhension de cette célébration, me permettant de mieux saisir les enjeux et le sens de notre histoire collective. En 2002, j’ai eu l’occasion de rejoindre ce programme qui m’a marqué pour le reste de ma vie.
Angela Misri – Ouais, cela me semble incroyable. Donc, Kenn Harper nous mentionnait que certaines attentes avaient pu être trop élevées au moment de la création du Nunavut. Qu’est-ce qui a déçu les gens?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Oh. Je ne crois pas que leurs attentes étaient trop élevées. Je ne pourrais même pas dire s’il y a eu de la déception.
Je crois que nous avons dû traverser des étapes importantes. Je crois qu’il y a toujours de ces moments où la construction des fondations requiert plus de temps, en particulier ce moment où vous construisez un tout nouveau système qui prend ses racines dans une culture forte, dans la langue robuste des Inuits, que ce soit l’inuktitut ou pas dans ce cas. Donc, je dirais plutôt le contraire, que nous continuons à tracer la voie vers la concrétisation de cette vision, soit de se faire représenter par les Inuits, pour les Inuits.
Y a-t-il eu des défis? Absolument. Il y en a eu avec la pénurie de logement qui a eu un effet nuisible sur les déterminants sociaux, les résultats en matière d’éducation que vous constatez, où il y a eu quelques défis à relever dans ce domaine. Mais nous venons tout juste d’être témoin des plus gros investissements que nous n’avons jamais faits en tant que territoire et, ce, que depuis les dernières années. J’ai été très privilégié de constater ces investissements transformateurs qui auraient pu être faits bien avant. La langue a été au cœur de la vision du Nunavut, où nous avons créé des lois, des structures et la possibilité de recevoir des services dans leur langue maternelle. Ouais, quelques défis en cours de route, mais je crois fermement que nous avons cheminé dans la direction de la vision initiale du gouvernement, c’est-à-dire l’autodétermination des Nunavummiuts à décider de leur propre avenir.
Angela Misri – Vous savez, vous parlez de protection de la langue et de la culture. Ils sont des éléments fondamentaux de la vision du Nunavut, comme vous l’avez mentionné. Qu’est-ce qui est fait de nos jours pour renforcer l’inuktitut et veiller à ce qu’elle demeure vivante pour les générations futures?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Vous avez absolument raison. C’était au cœur de la vision, qui constitue la survie de notre peuple. Notre langue, notre culture. Un travail extraordinaire a été fait autour de cette idée. Des lois sur la langue ont été adoptées, par exemple, la Loi sur l’éducation. Il y a des programmes d’études qui contribuent à cette vision et qui donnent l’occasion aux Nunavummiuts d’étudier dans leur langue et d’en être fiers, en plus d’être fiers de leur identité et de leurs origines.
Pourrions-nous en faire davantage? Certainement. Les investissements progressent en ce sens, bien que nous continuions de persévérer afin de nous assurer que des ressources soient disponibles non seulement pour l’Inuktitut, mais aussi pour l’Inuinnaqtun qui se retrouve plutôt dans l’Arctique de l’Ouest. La reconnaissance officielle de ces langues sur le territoire nous ouvre à un monde de possibilités. Ces investissements nous permettent de voir des changements tangibles pour la protection et d’établir les bases pour mettre en œuvre notre vision à travers le territoire.
Angela Misri – Je sais qu’il y a eu une baisse de locuteurs pour ces langues et que maintenant le nombre augmente. Donc, ça augmente réellement les chiffres.
Premier ministre P.J. Akeeagok – Oui. Quand on regarde les langues à travers le monde, il y a eu une baisse en termes de langues autochtones et tout ce qui s’ensuit. Dans notre cas également, quand on regarde l’histoire du territoire, à partir du moment où les missionnaires ont commencé à venir ici, lorsque les baleiniers et les commerçants ont commencé à venir.
Nous avons commencé à devenir dépendants aux services gouvernementaux, ce qui coïncide avec les pratiques et les politiques coloniales qui ont été mises en place pour les Inuits. Dans ce cas, c’est là qu’on a réellement commencé à voir la difficulté de parler et de recevoir des services en Inuktitut, la langue maternelle. Mais nous faisons tout en notre pouvoir pour la renforcer. De nombreuses organisations investissent des efforts en ce sens. Le gouvernement à lui seul ne peut affronter ce défi, mais nous demeurons un partenaire pour les soutenir. À travers tout le travail que nous faisons, que ce soit, au niveau des communautés, des programmes de revitalisation, des programmes d’études qui ont été créés ou des ressources, comme notre partenariat avec Microsoft, pour la création d’application qui fait de la parole au texte ou du texte à la parole. L’inuktitut est également ma langue maternelle. C’est donc quelque chose qui m’est cher. Et nous continuerons à faire pression pour qu’elle prospère.
Angela Misri – Je suis jalouse parce que ma langue maternelle est le Kashmiri. En fait, il s’agit de celle de ma mère et mon Kashmiri est terrible.
L’une des raisons principales de la création du Nunavut a été la quête de souveraineté, comme vous l’avez mentionné pour les communautés inuites. Tout juste l’année dernière, en 2024, vous avez participé à l’accord qui a transféré la pleine autorité du territoire du Nunavut à votre propre gouvernement. Ce fut le plus grand transfert de terres de l’histoire du Canada. Qu’est-ce que cela représente pour le peuple du Nunavut?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Oui, c’est une excellente question. C’était un moment assez spécial. Avec leur énergie et leur vision, les dirigeants, qui ont lancé ce mouvement dans les années 1970, ont toujours martelé le même message, soit de ramener la prise de décision ici. Nous sommes chanceux que ces dirigeants soient toujours parmi nous, nous permettant d’avoir ces discussions avec des personnalités telles que Paul Quassa, Tagak Curley, et bien d’autres, qui ont joué un rôle essentiel. Ce sont des figures emblématiques dans nos communautés, celles qui ont négocié à une époque où les droits des peuples autochtones n’étaient pas reconnus. Ils ont mené une lutte acharnée pour obtenir cette reconnaissance. Leur travail acharné a ouvert la voie à la signature du plus grand transfert de terres de l’histoire du Canada, couvrant 2 000 000 km², soit environ 20 % de la masse continentale du pays. Cela représente le double de la superficie de l’Ontario. Mais le travail acharné devait se poursuivre, même après la signature. L’an dernier, nous avons concentré nos efforts sur l’élaboration des lois entourant la gestion des terres et des eaux du territoire. Nous allons ainsi nous appuyer sur une grande partie de ces lois pour orienter notre fonctionnement. Nous avons aussi travaillé fort sur le développement des ressources humaines. Mais l’une des choses que je peux assurer aux Nunavummiut et à l’industrie que nous sommes les meilleurs gestionnaires de notre territoire. La majeure partie des activités d’extraction de ressources était destinée au Sud. Mais nous étions ceux qui subissent les conséquences de ces activités minières. En ayant ceci en tête, cela donne l’occasion aux Nunavummiut d’imaginer un avenir qui leur est propre et de construire l’économie qu’ils souhaitent voir se développer. Je crois que c’est le message que cela nous envoie et que nous pouvons espérer pour aller de l’avant avec nos projets.
Angela Misri – Être capable de construire notre propre avenir, c’est ça le rêve. C’est certainement vrai. En tant que premier ministre, quel avenir entrevoyez-vous pour le Nunavut et qu’est-ce qui doit être mis en place afin de répondre pleinement aux promesses faites lors de la création du territoire?
Premier ministre P.J. Akeeagok – Il y a tellement d’espoir. En regardant ce qui a été fait, je crois que nous avons fait de gros investissements de capitaux. Le logement a été notre plus gros défi. Je crois que si davantage d’investissements avaient été faits dans le domaine du logement, je crois que nous serions dans une tout autre situation quant aux déterminants sociaux, aux résultats actuels en éducation et en emploi.
Nous sommes donc très excités par le modèle du partenariat. Nous avons décidé de travailler avec des organisations inuites qui partagent nos priorités au Nunavut. Nous avons donc adopté une approche transformatrice pour travailler avec des partenaires afin de résoudre les problèmes très importants auxquels nous sommes confrontés. Je pense vraiment qu’à l’avenir, nous devrons voir des investissements canadiens ayant pour objectif l’édification de la nation. Nous voyons des personnes qui poursuivent des études postsecondaires. Nous voyons notre économie qui se développe dans différents secteurs. Si je m’attarde à l’économie bleue où nous avons protégé le Tallurutiup Imanga, qui est la région du détroit de Lancaster, où nous avons vu des Nauttiqsuqtiit, ou gardiens de la terre maintenant employés dans les communautés. Nous y voyons la construction de ports pour petits bateaux, spécialement dans ces communautés qui créent l’opportunité d’une économie bleue. Nous observons également des investissements considérables dans l’industrie des ressources naturelles, un secteur où notre territoire possède un potentiel énorme en matière de ressources souterraines. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des mines d’or ou des mines de fer en activité, l’incroyable potentiel de notre territoire est évident. Nous disposons d’une des listes les plus variées de minéraux essentiels, mais nous manquons encore des infrastructures nécessaires pour exploiter pleinement ces ressources.
Et maintenant avec la signature du plus grand transfert de terres du Canada, je crois qu’il y a une occasion en or pour nous avec ce qui se produit à travers le monde. Il y a tellement de potentiel afin d’édifier notre nation. Le Canada n’a pas encore investi pleinement dans la construction de la nation au Nord. Je pense que nos compatriotes du Sud doivent investir dans le développement de cette nation d’un océan à l’autre, jusqu’à cette dernière côte au nord. Il y a un potentiel immense dans ce que nous pourrions offrir, non seulement au pays, mais aussi au monde. Tout cela grâce à nos possibilités uniques que ce soit à travers la pêche durable, comme le flétan ou les crevettes dans nos eaux. Il y a aussi le projet de route et de port de Grays Bay, situé à l’ouest de l’Arctique, à l’embouchure du passage du Nord-Ouest. Ce projet représente une perspective de souveraineté et de sécurité, avec la possibilité de développer une infrastructure utile pour la communauté et le développement économique. Il pourrait fournir de l’hydroélectricité et des connexions par fibre optique, permettant ainsi de relier le nord au sud, une première, car nous n’avons pas de routes reliant ces deux régions. Cela offrirait également la possibilité d’exploiter des ressources très riches, comme le port en eau profonde de Qikiqtarjuaq, qui pourrait représenter un potentiel considérable pour l’économie bleue. Lorsque je pense aux opportunités de construction nationale et au contexte géopolitique dans lequel nous nous trouvons, notamment en référence aux événements récents entre la Russie et l’Ukraine, l’Arctique n’a jamais autant attiré l’attention.
Mais cela requiert qu’on investisse dans la construction de la nation et son développement économique et c’est vraiment l’élément qui manque pour aller de l’avant. Notre peuple représente notre plus grande richesse, bien que nos terres et nos eaux en soient également. C’est notre peuple qui est à l’origine de nos fondements les plus solides. Et pour que nous puissions affirmer notre sécurité et notre autodétermination dans le Nord, il faut que les communautés soient en santé. Les gens doivent avoir un toit au-dessus de leur tête afin que nous puissions dire en toute confiance, en tant que Canadiens, en tant que pays, que nous sommes une nation nordique forte et libre. Mais nous devons d’abord nous assurer que le Nord bénéficie d’investissements réels pour ensuite disposer des bases sur lesquelles bâtir. Mais, pour répondre à votre question, je pense que j’ai hâte de voir la prochaine vague d’investissements dans les énergies propres, les transports ou les infrastructures qui contribueront à l’essor du Nunavut.
Angela Misri – Je pense que le fait que le Nord soit porteur d’espoir est plus essentiel que jamais, maintenant. Vous avez tout à fait raison.
Premier ministre P.J. Akeeagok – Mais je voulais tout simplement dire qu’il y a beaucoup d’espoir. Malgré les temps difficiles qui nous attendent avec tout ce qui se passe dans le monde, malgré les menaces tarifaires ou l’incertitude qui plane, j’en vois beaucoup. Mais je crois vraiment qu’il y a un moment dans notre histoire où nous aurons l’occasion d’investir et de faire preuve de leadership avec les possibilités et les occasions qui se présentent à nous. À partir de là, je crois que le Nord, que ce soit le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest ou le Yukon, tout investissement dans le Nord a des retombées positives pour le Sud aussi. En gardant ceci en tête, je pense qu’il faut vraiment poursuivre nos efforts pour construire notre nation et nous questionner plus longuement sur notre potentiel comme pays. Ainsi, j’apprécie énormément la tribune qui s’est offerte à moi aujourd’hui en ayant cette conversation avec vous.
Angela Misri – Merci de vous avoir joint à nous.
Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est créé par The Walrus Lab. Cet épisode a été produit par Jasmine Rach et a été édité par Nathara Imenes. Amanda Cupido est la productrice exécutive. Pour en apprendre plus sur des moments-clés de l’histoire canadienne ou pour lire les transcriptions en français et en anglais, visitez thewalrus.ca/CanadianHeritage. Il y a aussi une version en français de ce balado, soit Voyages dans l’histoire canadienne. Si vous êtes bilingue et que vous souhaitez en savoir plus, retrouvez-nous sur votre plateforme d’écoute de balados préférée.