Dans cet épisode, le Ranger canadien Allen Pogotak évoque sa vie dans l’Arctique canadien et se questionne sur l’absence d’efforts suffisants pour le défendre et l’explorer. Ensuite, l’ancien ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy analyse le rôle du Canada au sein de l’OTAN, les raisons de son adhésion, ses contributions les plus marquantes par le passé et la manière dont nous devrions évoluer à l’avenir. Faisons-nous suffisamment pour nous adapter à un monde en constante évolution, ou bien d’autres pays prennent-ils le relais là où nous manquons à nos engagements?

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[CLIP AUDIO] Harry S. Truman : Les Hommes de courage et visionnaires ont la capacité de tracer leur propre route. Ils peuvent choisir la servitude ou la liberté, la guerre ou la paix. Je n’ai aucun doute quant à la voie qu’ils choisiront. Le traité que nous signons aujourd’hui est le symbole de ce chemin qu’ils ont décidé d’emprunter. Une chose est certaine et elle résonne avec force aujourd’hui : l’aspiration des peuples à un monde libre et pacifique est inéluctable. Cette volonté, cette détermination, façonnera l’avenir.

Angela Misri – Bienvenue dans la troisième saison de Voyages dans l’histoire canadienne, un balado qui nous plonge dans les moments clés qui ont façonné l’histoire de notre pays. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est produit par The Walrus Lab. Je m’appelle Angela Misri. Cet épisode souligne le 75e anniversaire de la signature du Traité de l’Atlantique Nord, le 9 avril 1949. Lors d’une journée de printemps à Washington, D.C., ce fut un moment décisif lorsque des ministres des affaires étrangères issus de 12 pays se sont rassemblés pour signer le traité dans un monde dévasté.

Et devinez qui y était? Qui était prêt à signer et à s’engager dans une toute nouvelle vision sur la sécurité mondiale? Eh oui, le Canada aux côtés de grandes puissances. Nous nous sommes engagés dans quelque chose de plus grand que nous. La paix, la stabilité et la liberté. Dans un monde toujours sous le choc des ravages de la Deuxième Guerre mondiale.

Imaginez ceci. L’Europe est réduite en ruines. La guerre froide se profile à l’horizon et l’Union soviétique multiplie les provocations. Le monde a besoin de mécanismes pour préserver la paix. L’OTAN s’impose alors comme la solution. Ce système international d’entraide repose sur un principe fondamental : si l’un de ses membres est en difficulté, les autres se mobilisent pour le soutenir. Il s’agissait de restaurer un équilibre fragile et d’éviter que le chaos des décennies passées ne se reproduise. Le Canada, fidèle à sa réputation de bon voisin, a estimé qu’il était temps de jouer un rôle actif dans cette dynamique.

Depuis ce moment, l’implication du Canada dans le NATO a été fondamentale, des missions de maintien de la paix jusqu’à protéger notre souveraineté dans l’Arctique. Alors que le monde a changé, l’engagement du Canada dans l’OTAN repose toujours sur des valeurs fondamentales de paix et de liberté. Mais comme vous l’entendrez sous peu, certains enjeux majeurs, spécifiquement ceux en lien avec la défense de l’Arctique, soulèvent des questions importantes sur les limites que nous avons dû franchir pour honorer nos promesses.

Donc, aujourd’hui, nous explorons comment le rôle du Canada au sein de l’OTAN a façonné notre position sur la scène mondiale et influencé nos priorités en matière de défense à travers le temps. Cela nous mène à se questionner sur l’Arctique, une vaste région sauvage et d’un potentiel encore inexploité, qui est aussi confrontée à des défis grandissants, tels que des changements climatiques ou des tensions géopolitiques. L’Arctique représente 40 % de notre territoire et plus de 70 % de notre littoral. Mais fait-on vraiment tout ce qu’il faut pour le défendre et le préserver? Le garde forestier canadien Allen Pogotak a consacré toute sa vie à tenter de répondre à cette question.

Allen Pogotak – J’estime qu’il est crucial de s’occuper de notre souveraineté sur les îles du Nord, un domaine dans lequel nous ne sommes pas assez intervenus. Le passage du Nord-Ouest est désormais ouvert et il serait judicieux d’y aller pour évaluer si les îles ont subi des changements, s’il y a de nouveaux habitants ou d’autres développements.

Angela Misri – Allen a vécu toute sa vie dans les Territoires du Nord-Ouest, où il travaille comme Ranger depuis 1997. Les Rangers canadiens sont une unité vitale de la Réserve de l’Armée canadienne, avec plus de 5000 membres qui sont basés dans des communautés éloignées. Ils fournissent du support militaire de surveillance, de recherche et de sauvetage, tout en apportant du renfort pour des opérations domestiques, telles que les inondations et des feux de forêt.

Allen Pogotak – Les défis que nous vivons sont en lien avec le froid, le vent et la pluie. La météo est le plus grand défi que nous rencontrons dans le Nord, en plus du manque de lumière du jour en hiver.

Angela Misri – Allen est aussi un guide de survie en Arctique, ayant appris à parcourir le territoire depuis sa jeunesse. Il a passé de nombreuses années à former le personnel de l’armée à survivre en Arctique, en montrant comment construire des igloos, monter des campements et s’adapter au froid extrême.

Allen Pogotak – C’est un immense plaisir de voyager par ici, quand on connaît le territoire et qu’on utilise nos points de repère. Quand on grandit, on apprend à reconnaître les éléments de notre territoire, l’océan et la terre ferme. Pour moi, ce n’est pas si mal, ce n’est pas si difficile de m’y retrouver parce que j’ai grandi ici et que j’y ai accompagné de nombreuses personnes pour chasser.

Angela Misri – Pour Allen, connaître le territoire, ce n’est pas juste une compétence, c’est un mode de vie. Son expertise représente un atout de très grande valeur pour soutenir les efforts de souveraineté du Canada. Mais pour Allen, ces efforts ne suffisent pas.

Allen Pogotak – Nous avons besoin de déployer davantage d’efforts. Il est difficile de suivre tout ce qui se passe en haut dans le Nord. Ce serait vraiment bien qu’il y ait plus de Rangers. J’aimerais qu’il y ait plus de moyens sur les îles parce que c’est notre terre et que nous aimerions en garder le contrôle, car personne ne vit là-haut.

Angela Misri – Bien qu’Allen soit un Ranger canadien depuis presque 30 ans, il ne sait toujours pas pourquoi le Canada ne déploie pas plus de moyens pour défendre le Nord.

Allen Pogotak – Je ne suis pas certain. Peut-être que cela a un lien avec le financement ou d’autres éléments. Peut-être que les guerres qui se déroulent ailleurs ont quelque chose à voir avec ce que les Rangers font ou est-ce l’Armée? Je ne peux pas vraiment y répondre…

Angela Misri – L’incertitude d’Allen illustre un problème plus vaste : malgré les décennies à servir et à connaître le territoire, il existe un décalage marqué entre les acteurs sur le terrain et la stratégie de défense de l’Arctique du Canada.

Alors qu’Allen est exposée aux réalités quotidiennes de la vie en Arctique, cette région attire de plus en plus l’attention du monde. Des pays, tels que la Russie et la Chine qui lorgnent le Nord, soulèvent des questions cruciales sur la capacité du Canada à s’adapter aux évolutions géopolitiques. Cependant, pour Allen, les défis les plus urgents sont bien plus proches.

Allen Pogotak – Il y a eu de nombreux changements comme la météo, les changements dans le climat. Ça a été plutôt chaud et le gel a été tardif ces dernières années. Maintenant, nous avons encore de l’eau, ce qui fait que les changements climatiques sont très marqués ici.

Angela Misri – L’Arctique se réchauffe plus rapidement que nulle part ailleurs sur Terre et cette réalité est indéniable pour Allen. Il parle des eaux ouvertes là où il y avait de la glace autrefois, des vents imprévisibles et des changements de paysages desquels il s’était imprégné toute sa vie. Alors que la fonte se poursuit, nous pourrions être de plus en plus vulnérables aux menaces externes, non seulement les changements climatiques, mais aussi aux autres qui pourraient tenter de réclamer ce territoire devenu plus accessible. La fonte des glaces ouvre la porte à des routes commerciales, tout en révélant des ressources naturelles inexploitées, qui pourraient déclencher une course géopolitique de pouvoir dans l’Arctique.

Pour le Canada, la question n’est pas seulement de savoir comment s’adapter à ces changements, mais aussi de savoir comment assurer sa souveraineté et de protéger ses frontières au nord dans un contexte où le territoire change rapidement. Et jusqu’à maintenant, les gens comme Allen nous rappellent que l’Arctique n’est pas juste un terrain de bataille pour débattre des intérêts mondiaux, mais que c’est aussi un chez-soi, un mode de vie et une région qui mérite notre respect et protection.

Alors que le Canada joue un rôle qui évolue dans la gestion du Nord, les décisions que nous prenons aujourd’hui détermineront l’avenir de cette région, essentielle tant pour ses habitants que pour son environnement, et influenceront sa position sur la scène internationale.

Pendant des décennies, le Canada a été reconnu pour le rôle qu’il a joué dans le maintien de la paix, la coopération en matière de sécurité et les valeurs humanitaires. Mais dans un monde en constante évolution, avec des changements dans les objectifs de défense, la compétition croissante entre grandes puissances et les demandes accrues de contributions à l’OTAN, quelle est la place de l’Arctique dans notre stratégie en matière de Défense nationale?

Pour répondre à ces questions, j’ai le privilège d’accueillir un invité de renom à Voyages dans l’histoire canadienne, Lloyd Axworthy. M. Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada, a joué un rôle déterminant dans la place qu’occupe le pays sur la scène internationale, notamment à travers sa participation à l’OTAN et sa contribution au maintien de la paix. Au cours de sa carrière exceptionnelle, il s’est imposé comme un fervent défenseur des valeurs humanitaires, en mettant en oeuvre des démarches cruciales comme la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et la politique des Nations Unies sur la responsabilité de protéger.

En plus de son temps à se consacrer à la politique, M. Axworthy a grandement contribué au monde universitaire et à la défense des droits de la personne. Il l’a fait comme président de l’université de Winnipeg et est actuellement président du Conseil mondial sur les réfugiés et sur les migrations. Peu de Canadiens ont eu autant d’impact sur la scène internationale. M. Axworthy, merci de vous joindre à nous.

Lloyd Axworthy – C’est un plaisir d’être parmi vous. Merci.

Angela Misri – Donc, le Canada a été un membre fondateur de l’OTAN et a fait partie de presque toutes ses opérations depuis sa création. À votre point de vue, qu’est-ce qui a réellement motivé le Canada à s’impliquer dans l’OTAN au départ?

Lloyd Axworthy – Eh bien, dans la période d’après-guerre, entre 1945 et 1946, il était évident que le meilleur contexte de sécurité pour le Canada et les décideurs politiques étaient des relations de coopération. Dans un monde qui était encore dominé par les puissances issues de la Deuxième Guerre mondiale et de l’idéologie selon laquelle le monde devait être uni. Dans ce contexte, vous vous deviez de travailler ensemble. C’est à ce moment que Mike Pearson et d’autres ont amené l’idée qu’on devrait être des internationalistes, ce qu’on appelait le l’internationalisme libéral à l’époque.

Je pense que cela a certainement contribué à créer un précédent ou un modèle pour ce qui allait suivre. Et je crois qu’avec l’OTAN, il y avait une démonstration claire des préoccupations que certains pays avaient avec les positions agressives des Soviétiques et les positions qu’ils adoptaient. Mais je pense aussi que le Canada a fait quelques tentatives pour inclure dorénavant les enjeux de paix, comme l’économie et l’iniquité sociale, ce genre de choses. Ce n’est pas allé très loin, mais c’était présent. Nous avons notamment amené l’idée que nous devrions faire partie d’une coopération, d’un accord de sécurité.

Angela Misri – Donc, vous avez parlé de 1945 et de 1946, pour ensuite passer rapidement à la Guerre froide. Qu’est-ce qui a pris tant de temps? Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps à aboutir?

Lloyd Axworthy – Je pense que les problèmes de la Guerre froide émergeaient déjà. Je crois que ce qui a drastiquement changé le paysage politique, c’est l’arrivée des armes nucléaires, soit la découverte de la bombe atomique par les Américains. Les Soviétiques les ont suivis de peu.

Peu savent que le Canada avait la capacité de devenir une puissance nucléaire dans les débuts du développement du nucléaire. Nous avons fait partie du projet Manhattan. Nous possédions de l’uranium et nous avions le savoir-faire scientifique. Plusieurs Canadiens ont été impliqués dans le développement de la bombe nucléaire. Maintenant, l’un des problèmes est que les gens s’en servent pour démontrer leur force, en disant, eh bien, regardez, nous disposons d’armes nucléaires. Eh bien, le Canada a décidé unilatéralement de ne pas devenir une puissance nucléaire. Nous avons plutôt mis l’emphase sur l’usage pacifique des armes nucléaires. À mon sens, cela a vraiment tracé la route pour le Canada, un héritage, si vous voulez. Jusqu’à récemment, nous avons tenter d’atténuer, de réduire la menace et le risque des armes nucléaires dans le monde. Et je pense que cela a pu être perçu dans les positions que nous avons prises au sein de l’OTAN.

Angela Misri – De quelle façon pensez-vous qu’être un membre fondateur, avec cette vision de départ, a influencé le rôle du Canada dans cette alliance aujourd’hui?

Lloyd Axworthy – En fait, je crois que nous en sommes toujours un membre important. Nous participons, mais nous subissons les attaques de l’armée américaine qui dit que nous ne contribuons pas suffisamment aux défenses de l’OTAN.
Je pense que l’argument des 2 % est l’un de ceux qui revêtent une importance légendaire. Mais que signifient réellement ces 2 %? La vraie question réside dans la manière dont on choisit de les investir. Dans quoi investissez-vous?
Par exemple, j’abonde dans le sens de l’argument suivant : si on veut vraiment élever notre niveau de sécurité, nous devons le faire en Arctique. Et l’Arctique fait partie du territoire de l’OTAN. Nous voyons déjà une croissance de nouvelles activités militaires menées par les Russes, les Chinois et d’autres. Nous devrions répondre à ceux qui se plaignent que nous devons assurer la sécurité dans notre propre cour en Arctique, qui requiert notre attention, maintenant que la Suède, la Finlande, la Norvège, le Groenland et l’Islande ont rejoint la coalition. Nous avons donc une coalition assez importante, une coalition de l’OTAN dans le Nord.

Angela Misri – Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces fameux 2 %? Vous en avez parlé brièvement, en évoquant les plaintes à leur sujet. Mais pourriez-vous approfondir un peu cette question?

Lloyd Axworthy – C’était l’une des demandes de Trump, que l’OTAN paie sa juste part.

Vous faites ce que vous faites de mieux. Et je crois que nous avons dévié de ce que nous faisions de mieux dans la dernière décennie, à l’époque du gouvernement Harper et avec le gouvernement actuel, soit le maintien de la paix. L’une des choses que nous avons faites, par exemple, dans les Balkans, où l’OTAN est intervenu avec force pour protéger le peuple contre la situation avec les Serbes et Milosevic. On ne participe plus à ce genre d’intervention. Des 60 000 gardiens de la paix dans le monde, je crois que le Canada en a 28. La stratégie de notre département de la Défense, de l’époque où nous sommes allés en Afghanistan, était d’être une nation de combattants et non d’être une nation de rétablissement de la paix. Cela a influencé drastiquement la position que nous occupons aujourd’hui.

Angela Misri – C’est l’une des critiques faites à l’endroit du Canada dans ses dépenses de la Défense et dans son engagement envers l’OTAN. Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels fait face le Canada quant aux exigences de l’OTAN et comment pensez-vous qu’on devrait les adresser?

Lloyd Axworthy – Eh bien, je vais parler de l’un d’entre eux. Je crois que l’Arctique est certainement l’une des régions clés et je pense que le gouvernement est en train de bâtir une stratégie de l’Arctique. Je ne sais pas sur quoi elle porte, mais j’espère qu’elle sera plus étoffée que ce que nous avons comme stratégie actuelle. Après tout, nous avons été des pionniers en créant le Conseil de l’Arctique. Pour la première fois, nous avons inclus les peuples autochtones dans l’élaboration des politiques arctiques. Dans le livre que je viens de terminer, je défends avec conviction l’idée qu’une stratégie pour l’Arctique devrait impliquer de façon étroite les Inuits du Nord. Il ne s’agit pas seulement de les considérer comme des acteurs responsables en matière de sécurité et de gestion, mais aussi de reconnaître leur rôle central vis-à-vis les menaces militaires et environnementales qui pèsent sur la région. Cependant, je suis convaincu que nous avons encore beaucoup à faire et que nous devons nous baser sur les connaissances et l’expérience des peuples autochtones dans le cadre de notre politique étrangère.

Angela Misri – À 100%. Vous avez parlé un peu du maintien de la paix. Selon vous, qu’est-ce qui est l’une des plus importantes contributions du Canada à l’OTAN en termes d’impact à travers les décennies?

Lloyd Axworthy – Les efforts de Mike Pearson de 1956 sur le canal de Suez et sur le maintien de la paix. Je pense que nous avons véritablement contribué à faire évoluer la situation. Lorsque nous siégions au Conseil de sécurité en 1999-2000, la plupart des conflits étaient alimentés par des seigneurs de guerre, des milices et d’autres groupes violents. La majorité des victimes étaient des civils innocents, atteignant près de 90 % des pertes humaines. Nous avions alors établi un modèle pour répondre à cette dure réalité. En 1999-2000, nous avons initié une résolution majeure, qui octroyait aux forces de maintien de la paix de l’ONU le droit d’utiliser la force, si nécessaire, pour protéger les populations civiles. Avant cela, elles n’avaient le droit d’agir que pour se défendre elles-mêmes. Cette nouvelle approche a marqué un tournant important pour le maintien de la paix, comme en témoigne son application au Kosovo, où elle a permis de mettre fin aux expulsions et aux atrocités. En dépit des décennies qui se sont écoulées, nous avons été l’une des voix de l’OTAN plaidant en faveur d’une révision de la politique nucléaire au sein de l’Alliance, marquant un autre moment important pour le Canada.

Dans les livres, l’OTAN, dans une sorte de protocole stratégique, a encore cette idée de la première utilisation, ce qui est provocateur. Je veux dire que nous sommes tous vraiment contrariés à propos de Vladimir Putin, qui brandit la menace des armes nucléaires contre l’Ukraine. En fait, les armes nucléaires pourraient encore être utilisées contre les questions conventionnelles, selon les protocoles de l’OTAN. Dans les années 90, nous avons déployé un effort particulier pour réexaminer notre politique. Lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères, j’ai demandé à la Commission permanente des Affaires extérieures du Parlement de mener une analyse approfondie de la politique nucléaire de l’OTAN. Bill Graham, le président de la commission, a accompli un travail remarquable en parcourant le pays et en donnant l’occasion aux Canadiens de s’exprimer, ayant reçu des centaines de représentations. Ce processus n’était pas simplement un exercice de consultation, il était véritablement fondé sur la participation citoyenne. La politique n’a pas été dictée dans les couloirs du pouvoir. Elle a été construite avec une véritable inclusion parlementaire. Le résultat de ce travail a été clair : le Canada devait plaider en faveur d’un changement dans la stratégie de l’OTAN, en abandonnant le premier usage des armes nucléaires.

Nous avons essayé. En 1999, il y avait ce grand sommet de l’OTAN, où nous avons plaidé en faveur du changement. Nous avions un peu de support des Allemands et des Néerlandais, notamment. Mais les puissances nucléaires, en particulier les États-Unis, ne voulaient rien savoir d’un changement dans la politique nucléaire de l’OTAN. Ce que le premier ministre et moi avons réussi à introduire dans la déclaration de ce sommet majeur, c’est l’idée qu’une révision de la stratégie de l’OTAN serait envisagée, y compris de sa position sur le nucléaire.

En fait, je devais être franc et direct. Le fait est que les Américains avaient exclu toute implication en ce sens. Cela faisait partie d’une bonne histoire pour le Canada que de pouvoir parler pour les pays non dotés d’armes nucléaires. Notre voix serait entendue avec légitimité puisque nous étions le premier pays qui aurait pu y avoir accès, mais qui a refusé d’être une puissance nucléaire. Nous aurions pu avoir accès aux armes nucléaires que nous souhaitions. Mais le Canada ne l’a pas fait.

Nous avions un héritage, presque une responsabilité morale. Nous avons presque tout lâché depuis, je crois, Angela, l’un des ajouts les plus bizarres dans la politique étrangère canadienne, à l’époque de Harper, est celui où il y a eu un manque total d’intérêt pour le contrôle des armes nucléaires, le désarmement et la non-prolifération. Nous avons simplement cessé de participer aux réunions, nous avons abandonné toute implication. Lorsque le gouvernement de M. Trudeau est arrivé, il a annoncé un retour en arrière. Mais en réalité, cela n’a pas eu lieu. Nous restons pratiquement absents de l’action. Pourtant, de grandes discussions sont en cours. Il existe même un traité sur l’élimination des armes nucléaires, mais nous n’envoyons aucun représentant pour y prendre part.

Angela Misri – Pourquoi pensez-vous qu’il en est ainsi?

Lloyd Axworthy – Eh bien, je crois que tel est le cas puisque, en sortant de la guerre en Afghanistan, comme je l’ai mentionné, je crois que notre département de la Défense a adopté ce qu’on peut considérer comme une position de guerrier, de combattant. Donc, plusieurs de nos militaires sont formés à Fort Hood ou dans d’autres bases américaines. Le point faible de cette situation réside dans le fait qu’il n’y avait pas de ligne directrice politique. Je ne me souviens pas, du moins dans le cas du gouvernement Harper, qu’il ait rejeté avec dédain tout effort en ce sens. En revanche, avec le gouvernement de Justin Trudeau, c’est simplement qu’ils ne participent pas. Ils ne prennent pas position, ni dans un sens ni dans l’autre. Ils ont tout simplement laissé tomber la chose.

Angela Misri – C’est étrange puisque la pertinence de l’OTAN a changé ainsi que notre rôle. Quelle est la place du Canada dans cette dynamique changeante? Si nous devenons plus des combattants plutôt que pour le maintien de la paix, quel rôle joue-t-on maintenant dans l’OTAN?

Lloyd Axworthy – Je pense que le problème provient en partie du fait que les changements récents nous ont dépassés. Ce que nous avons observé, notamment avec l’agression russe en Ukraine, est désormais, sans aucun doute, l’une des questions de sécurité les plus cruciales auxquelles nous devons faire face. Sommes-nous prêts à y faire face efficacement? Je n’en suis pas convaincu.
Ils sont en train de se rattraper. Je crois que le ministre de la Défense a annoncé de nouveaux achats de navires capables de patrouiller dans les eaux arctiques. Nous avons signé des accords avec l’Islande et la Corée pour la construction de brise-glaces. Nous envisageons l’acquisition d’un nouvel avion de chasse ainsi que la modernisation du système NORAD. Ce sont des initiatives de taille, mais, pour l’instant, je ne vois pas que le pays en fait une priorité. Je ne dis pas que ces investissements ne sont pas pertinents. L’Arctique représente un enjeu crucial. La modernisation de NORAD l’est également. Mais, pour être honnête, je pense que le Canada ignore encore quel rôle il souhaite jouer au sein de l’OTAN. Après l’Afghanistan, il me semble que notre réflexion stratégique est devenue plutôt floue, sans en ressortir avec une vision claire et précise.
Angela Misri – Parlez-vous d’un leadership qui semble perdu quant à la direction à prendre, en raison des récentes manifestations anti-OTAN à Montréal? Il semble que certains citoyens aient une opinion sur les actions de l’OTAN. Qu’est-ce qui, selon vous, explique cette déconnexion?

Lloyd Axworthy – L’une des premières initiatives évidentes que le gouvernement pourrait mettre en place serait de reconduire ce qu’ils ont fait en 1996, soit de créer un comité parlementaire pour évaluer notre rôle et de laisser les Canadiens s’exprimer à ce sujet. Je veux dire, je crois que le concept de la politique étrangère nous a quelque peu échappé, comme quoi ce n’est pas uniquement l’affaire des cercles de pouvoir. Je crois que nous devons impliquer les Canadiens tout en arrêtant de financer les organismes sans but lucratif qui y sont intéressés et qui pourraient participer. Il existe donc une réelle pénurie de ressources. De plus, les groupes de réflexion dont nous disposons ne semblent pas particulièrement investis dans ce type de réflexion stratégique.
Ainsi, je pense donc qu’il existe un vide, une véritable zone grise, comme je l’ai mentionné. Si un nouveau gouvernement prend le pouvoir sous la direction de M. Poilievre, nous ne savons pas exactement ce qu’il fera ou dira, car il n’a encore rien précisé à ce sujet. En somme, nous lui accordons un peu comme un chèque en blanc.
Angela Misri – Lloyd, vous avez mentionné avoir un nouveau livre à venir. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Lloyd Axworthy – Eh bien, le titre est «Lloyd Axworthy: My Life in Politics.» [ Lloyd Axworthy: Ma vie en politique] Cela aborde réellement, j’estime que j’ai été impliquée dans la sphère publique pendant près de 45 ou 50 ans au Canada. J’ai tenté de décrire mon expérience et les leçons que j’ai apprises. Il est crucial de tirer les leçons du passé et de les appliquer à ce que nous vivons actuellement, en particulier pour revitaliser notre démocratie et aborder nos défis en matière de sécurité. Il faut également prendre conscience que l’une des menaces réelles qui pèsent sur nous aujourd’hui est l’autoritarisme. Je vous invite à regarder ce qui se passe aux États-Unis, où le gouvernement semble sombrer dans le chaos. Nous devons absolument veiller à ne pas tomber dans ce piège. C’est précisément le sujet de mon livre, publié le 15 octobre. J’ai d’ailleurs fait une tournée pour le promouvoir. De toute façon.

Angela Misri – J’ai vécu, j’ai vu. C’est une chose.

Lloyd Axworthy – Oui, c’est toute une affaire. N’est-ce pas? D’accord.

Angela Misri – C’est très apprécié, merci Lloyd.

Lloyd Axworthy – Okay. Merci beaucoup!

Angela Misri – Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est créé par The Walrus Lab. Cet épisode a été produit par Jasmine Rach et est édité par Nathara Imenez. Amanda Cupido est la productrice exécutive. Pour plus d’anecdotes sur les grands moments de l’histoire canadienne et pour lire les transcriptions en anglais et en français, visitez thewalrus.ca/CanadianHeritage.

Il y a aussi une version française de ce balado intitulée Voyages dans l’histoire canadienne. Donc, si vous êtes bilingue et que vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez retrouver ce balado sur votre plateforme d’écoute en continu préférée.

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The Walrus Lab